Même si la carrière de Gaudí était couronnée de succès, vous devez savoir que la Sagrada Familia était devenue son obsession. Plus les financements étaient difficiles à trouver, plus l’architecte déployait des efforts, comme s’il se sentait obligé de se consacrer physiquement à la croissance de sa laborieuse créature. À la fin de la Première Guerre mondiale, il avait terminé les projets définitifs de la façade dédiée à la Passion du Christ dont les travaux débutèrent, cependant, beaucoup plus tard.
L’énorme chantier à moitié abandonné devint son refuge et son défi : en 1922, il quitta la maison du parc Güell où il habitait avec sa sœur et il installa une petite chambre avec un lit de fortune au milieu du chantier. À compter de ce moment-là, il vivra ici, comme un ermite, dans la poussière et les matériaux de construction, surveillant chaque avancement des travaux et en continuant à accumuler frénétiquement des dessins, des croquis et des modèles.
A la fin de 1925, Gaudí eut la satisfaction de voir l’achèvement de la première tour de la façade est (la façade la plus ancienne, dédiée à la Nativité), suivie peu après par les trois autres. Comme vous pouvez le voir encore aujourd’hui, les tours sont décorées en bas avec des figures d’animaux et en haut par des pinacles qui rappellent les bourgeons et les branches d’arbres, où sont insérées des céramiques polychromes combinées avec les mots « Hosanna, Saint, Alléluia ».
L’histoire que je vous raconte finit, malheureusement, mal : en juin 1926, Gaudí, qui était un homme maladroit et distrait, fut heurté par un tram et il mourut après une agonie de plusieurs jours.
Il fut enterré dans la crypte de la Sagrada Familia : un exemple extrême de l’architecte qui reste au cœur de sa créature, comme pour continuer à suivre la progression du chantier. Mais les ennuis n’étaient pas finis pour autant. Dix ans après sa mort, pendant la Guerre Civile espagnole, un groupe d’anarchistes anticléricaux incendia l’église en construction. Les archives de Gaudí partirent en fumée, les maquettes en plâtre furent détruites à coups de massue et même la tombe fut profanée.
CURIOSITÉ : Gaudí a réalisé des dizaines et des dizaines de modèles en plâtre pour chaque détail de l’église : les pinacles, les jours, les têtes des anges, les boucles décoratives. En regardant la documentation photographique, vous découvrirez que Gaudí, à la recherche d’un réalisme absolu, fit poser des modèles accrochés à la croix et pour étudier les poses des groupes de sculptures il ne se contenta pas de mannequins mais se procura de vrais squelettes d’hommes et d’enfants !